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Interview de Richard Abadie, directeur général de l'Anact
L'Agence nationale pour l'amélioration des conditions de travail (Anact), établissement public administratif sous tutelle du ministère du Travail, œuvre pour améliorer les conditions de travail dans les entreprises. Avec le soutien du FSE, l'agence a mené le projet Pact Seniors, dont le but est d’aider les entreprises à améliorer les conditions du maintien en emploi des 55-64 ans. Explications du directeur général, Richard Abadie.
Pouvez-vous nous présenter l’Anact et ses principales missions ?
L’Anact, comme son nom l’indique, a pour mission de contribuer à l’amélioration des conditions de travail en agissant notamment sur deux facteurs déterminants : l’organisation du travail et les relations professionnelles. Pour cela, le réseau de l’Anact conçoit des outils et méthodes permettant de concilier la qualité de vie au travail des salariés et l’exigence de performance économique à laquelle est confrontée toute entreprise.
Comment est organisée l’Anact et quelle est la nature de ses interventions ?
L’Anact est un établissement public qui pilote un réseau de 16 associations paritaires implantées régionalement. De par leur ancrage territorial, les Aract ont une perception précise des besoins et enjeux des entreprises mais aussi de leurs salariés. Les Aract contribuent à la conception, à la réalisation et au déploiement des programmes de l’Anact. Via des coopérations avec les acteurs locaux ou sectoriels, nous intervenons au sein d’entreprises afin de co-construire avec elles des outils et méthodes qui sont ensuite déployés plus largement. Les initiatives jugées les plus intéressantes sont capitalisées au niveau national.
Quelles sont les conditions de travail des seniors dans les entreprises françaises ?
La France est l’un des pays où l’intensité du travail est la plus élevée, où les contraintes temporelles (travail dans l’urgence, demande d’une réponse rapide au client…) sont très fortes. Cela n'est pas sans conséquences sur les salariés, notamment sur leur fin de carrière. Quant aux entreprises, elles sont confrontées, par contrecoup, à des problèmes d'absentéisme, des difficultés de santé de leurs employés, une hausse de certaines inaptitudes, des formes de désengagement ou/et de démotivation....
Comment les entreprises traitent-elles la question de l’emploi des seniors ?
Le maintien de l’emploi des seniors n’est pas, a priori, une préoccupation prioritaire pour les entreprises. D'ailleurs, le terme même de senior ne recouvre pas les mêmes réalités selon les entreprises et les secteurs. À l'Anact, nous cherchons à mettre en avant les notions qui font le plus écho aux problématiques d’entreprises et qui permettent de concourir à la réalisation des objectifs de politique publique en matière d'emploi des seniors. Au fil de nos travaux et de l’évolution des politiques publiques, nous avons travaillé autour de plusieurs approches « outillées » pour permettre aux entreprises de se saisir des enjeux liés à l’allongement de la vie professionnelle des salariés et de développer des réponses opérationnelles adaptées : gestion des âges, pénibilité et, désormais, prévention de l’usure professionnelle, notion qui nous apparaît comme la plus pertinente.
La prévention de l’usure professionnelle est-elle un levier important du maintien de l’emploi des seniors ? Pour aller plus loin Accompagner les travailleurs européens face aux transformations du monde du travail
C’est le levier principal. Il faut agir sur les conditions de travail des futurs retraités, maintenir en bonne santé tous les salariés, pour avoir un effet sur la situation des seniors et aider à prolonger la vie professionnelle. Le projet que nous avons mené est parti de ce postulat : pour aller vers « l’emploi durable », il faut avoir une réflexion sur les conditions de travail et les parcours professionnels dans leur ensemble, parcours générateurs d’usure au travail quand le travailleur est exposé durablement à de mauvaises conditions. Les entreprises doivent réduire ce risque d'usure.
Y a-t-il d'autres facteurs importants du maintien dans l'emploi des seniors ?
La prévention de l’usure professionnelle nécessite d’avoir une attention particulière sur les parcours professionnels des salariés tout au long de leur vie professionnelle. Plusieurs Plans régionaux santé au travail ont initié des actions autour de cette thématique, avec des objectifs tels que la réduction du temps d'exposition aux contraintes intensives, la définition de parcours encourageant une dynamique positive et une plus forte motivation des travailleurs. Les grandes entreprises ont la capacité d'organiser de tels parcours. En revanche, les PME ont moins de marge de manœuvre sur ce point. Dès lors, pour travailler sur la question des parcours, il faut dépasser les limites de l'entreprise, penser à l'échelle du territoire, tester des passerelles entre métiers, anticiper les montées en compétences pour autoriser des parcours vertueux, inventer des formes d'action originales.
L'un des moyens d'enrichir le parcours des seniors est de valoriser leurs compétences au sein de l'entreprise....
C’est un véritable enjeu pour les entreprises : savoir valoriser l'expérience et préserver les compétences, via des collectifs de travail et des modes de coopération. C'est aussi un moyen d'améliorer la satisfaction des salariés et leur engagement.
Pouvez-vous nous présenter les contours et résultats du projet Pact Seniors ?
Le projet Pact Seniors de l'Anact, financé, entre autres, par le FSE, s'est déployé de façon diverse selon les régions concernées....
Nous avons testé de nouvelles formes d’action dans cinq grandes régions en nous appuyant sur des acteurs locaux et en cherchant à initier des dynamiques territoriales. En Bretagne, par exemple, nous avons travaillé avec des acteurs du champ de l’emploi et de la formation (bassins d’emploi, chambres de commerce…), des acteurs de la prévention et de la santé au travail (Carsat…) pour créer des partenariats durables et sensibiliser - soutenir les entreprises dans la prise en compte de l’usure professionnelle. Dans les Hauts-de-France, nous avons testé une initiative reposant sur le format « cluster » et sur la dynamique collective de groupes d’entreprises, les échanges d’expériences interentreprises... Dans le Grand-Est, nous avons retenu une approche sectorielle dans les métiers de l’artisanat, en particulier de la coiffure, en coopérant avec des acteurs de la branche tels que le CPRIA (Commission paritaire régionale de l’artisanat).
Comment avez-vous capitalisé les principaux résultats du projet ?
À partir des expérimentations menées, nous avons consolidé les éléments de démarche portée par les divers outils testés, et élaboré un kit de prévention de l'usure professionnelle (en partenariat avec la Cnamts, la Cnav) consultable sur le site web anact.fr. Les différents acteurs territoriaux impliqués ont en effet exprimé le besoin d'explicitation et d’outillage de la démarche. Ce kit, que nous avons présenté à la DGEFP, va être utilisé à la fois par les acteurs porteurs de la démarche et par les entreprises elles-mêmes. Nous favorisons également l'essaimage de certaines expérimentations, par exemple, celle des Hauts-de-France. Le bilan général est très positif. Ce projet nous a permis de renouveler nos outils sur une thématique, certes ancienne, mais toujours d'actualité, et de la traiter avec l'envergure nécessaire pour toucher plus largement les différents territoires.