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Passer des contrats aidés aux Parcours Emploi compétences
Président du Groupe SOS, géant de l'économie sociale et solidaire (11 000 salariés, 600 millions d'euros de chiffre d'affaires), Jean-Marc Borello a été chargé en septembre 2017, par la ministre du Travail, Muriel Pénicaud, d'une mission sur l'innovation sociale pour lutter contre l'exclusion sociale. Remis en janvier dernier, son rapport a d'ores et déjà inspiré une réforme des contrats d'insertion.
Vous venez de remettre un rapport sur l'inclusion sociale qui traite des difficultés des personnes très éloignées de l'emploi. Parlez-nous du contexte de la mission...
Le contexte économique a fortement évolué ces derniers mois et la reprise est là. Reste que ceux qui sont insuffisamment formés ne peuvent toujours pas accéder à l’emploi. Face à ce constat, le gouvernement a mis en place le Plan d'Investissement Compétences de 15 milliards d’euros pour former un million de jeunes peu qualifiés, un million de demandeurs d’emploi de longue durée faiblement qualifiés et transformer en profondeur l’offre de formation. Pour autant, les gens en situation d’exclusion depuis longtemps n’accèderont pas à l’emploi simplement avec de la formation. Il faut un tryptique accompagnement-formation-mise en situation professionnelle.
Les précédents contrats aidés n'étaient pas une bonne solution ?
Les contrats aidés proposaient des emplois précaires pour des personnes précaires, avec seulement 26% de sorties dans l’emploi durable. Autrement dit, presque 75% revenaient à leur situation de départ, c’est-à-dire sans emploi. La réponse est d'abord de mieux cibler les personnes qui en ont vraiment besoin, c’est-à-dire pas ceux qui peuvent trouver un emploi avec une formation (pour eux, il y a le Plan Investissement Compétences), mais ceux qui sont dans une situation de précarité depuis un certain temps. Et ensuite de construire des parcours adaptés.
C'est ce que vous dénommez les Parcours Emploi Compétences ?
Une unanimité des personnalités rencontrées à l’occasion de ce rapport (plus de 400 personnes) nous ont dit en substance : "Il y a trois conditions à la réussite des contrats aidés, un accompagnement, une mise en situation professionnelle, une formation". Il faut un accompagnement social, car si les gens vivent dans leur voiture ou sont en mauvaise santé, ils ne risquent pas de retrouver un emploi. Il faut une mise en situation professionnelle, car lorsqu'on ne travaille plus depuis des années, on a perdu les repères, le sens du travail en équipe et de la hiérarchie. Enfin, il faut absolument une formation, car sans compétences particulières, vous restez dans une forme de précarité. Si l’on met en place ce triptyque alors on vérifie que « nul n’est inemployable ».
"Nul n'est inemployable". Pouvez-vous nous préciser votre pensée ?
Asséner à une personne qu’elle est « employable » ou « inemployable » est un faux verdict qui fait peser toute la responsabilité de l’emploi sur la personne. Il vaut mieux évoquer les freins périphériques à l'emploi : le logement précaire, les difficultés de transport, de garde d’enfants, etc. qui empêchent l’accès ou le retour à l’emploi. Dans les cas les moins graves, l’emploi lève ces freins, le revenu permettant de financer ces dépenses. En outre, le cadre social de l’emploi permet de gagner en « savoir-être » et en savoir-faire.
Il faut donc une "mise à l'emploi" portée par l'employeur ?
Si l’emploi permet de lever les freins à l’emploi, il faut effectivement enclencher une dynamique par la mise en emploi. Il peut s’agir d’une aide publique, ou simplement que l’employeur laisse un temps d’adaptation. Tolérons que certains aient besoin d’un temps plus long que la moyenne. L'employeur doit donc porter le projet, s'assurer de la formation et du suivi, sinon il n'aura pas accès au dispositif. Il doit prouver sa capacité à employer, son "employeurabilité".
Les nouveaux Parcours Emploi Compétences sont donc très contrôlés ?
Au moment de la signature de la demande d’aide, un entretien tripartite réunit le référent prescripteur, l’employeur et le futur salarié. Pôle Emploi donne son autorisation si le triptyque « accompagnement, mise en situation, formation » est clairement affiché. Ensuite, un suivi dématérialisé est mis en place par l'administration. Trois mois avant la fin du contrat, retour à Pôle Emploi. Soit tout s’est bien déroulé et il y a une issue positive à la sortie du contrat. Soit la formation n’a pas été dispensée et l’employeur n’aura plus accès au PEC. Pôle Emploi prend le relais, réintègre la personne dans son dispositif et se charge de trouver une formation ou un emploi à la sortie du parcours compétences.
Votre rapport a mis en lumière d'autres sources d'inefficacité des politiques d'insertion : la multiplicité des dispositifs, leur manque d'adaptation aux réalités du terrain.
L’Etat a empilé des dispositifs avec des noms divers et variés. Ces dispositifs descendent des ministères vers le terrain, parfois sans tenir compte des disparités régionales qui sont très importantes. On peut difficilement faire une politique nationale qui soit applicable de façon uniforme à l’ensemble des territoires qui connaissent des situations économiques et sociales très disparates.
La solution consiste à déployer des politiques d'insertion territoriales ?
Il faut donner aux préfets la possibilité d’adapter les dispositifs à leur région.
Nous avons proposé de passer d’une logique de contingents de postes (gestion d’un nombre de contrats d’insertion ou de chantiers d’insertion) à la mise en place d'un fonds d’inclusion régional regroupant l’ensemble des financements liés aux dispositifs d’aide. A charge à chaque préfet d’étudier localement pour voir s’il faut faire des contrats de compétences, des chantiers d’insertion, soutenir des entreprises d’insertion sociale. Chacun de ces dispositifs correspond à une situation économique bien particulière.
Cette approche va faciliter les partenariats à l’échelle locale en matière d’insertion sociale et de retour à l’emploi et générer de la souplesse...
Jusqu'ici, l’Etat travaillait tout seul et l’on n'est pas parvenu à créer des dynamiques territoriales autour de beaux projets d’insertion initiés localement mais forcément indépendamment de l’Etat central. Rien ne pouvait s’organiser autour du territoire. Avec le nouveau dispositif, le préfet va être libre de traiter avec qui il veut, la Région, le Conseil départemental, une ville, et monter des projets ensemble. Le préfet devient un entrepreneur d’état, selon les vœux du chef de l’Etat.
La réforme des contrats aidés est donc actée ?
Tout ce qui dépend spécifiquement du ministère du travail, sans nécessité de modifications législatives, est parti sous forme d’instructions aux préfets au moment précis où je remettais le rapport. Le fonds d’intervention régional, les parcours emploi compétences sont créés. Plus de 100 millions d’euros par an sont désormais dédiés au volet formation du nouveau dispositif : 50 millions par an pour les emplois compétences, 50 millions pour les emplois d’insertion, soit 100 millions pour former les plus en difficultés, en plus des aides liées au poste. Un tel montant permet de former tout le monde en cinq ans.
Quel taux de réussite (sortie en emploi) visez-vous sur les nouveaux Parcours Emploi Compétences ?
Nous étions à 25-26% de sorties positives sur les contrats aidés. Nous voulons doubler dès la première année et améliorer ensuite. Nous ne sommes plus dans l’engagement de moyens mais dans l’engagement de résultats !