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Remobiliser les jeunes avec les Chantiers éducatifs

14.02.2020 Rencontres FSE

Issue de l’économie sociale et solidaire, habituée aux programmes européens, Lucie Lahellec avait le profil idéal pour piloter la mise en place des chantiers éducatifs au sein du bailleur social Paris Habitat : ce qu’elle a fait depuis deux ans, comme chargée de mission, d’abord à la Fondation de l’entreprise puis au sein du service du développement social urbain. Un projet éducatif et social encore méconnu, soutenu par le Fonds social européen.

Nous connaissons tous les « chantiers d’insertion »… mais beaucoup moins les « chantiers éducatifs ». Pouvez-vous nous en expliquer le principe ?

Les deux types de « chantiers » ne se situent pas au même stade du processus d’insertion. Les chantiers d’insertion se déroulent sur plusieurs semaines ou plusieurs mois, offrant aux personnes concernées une formation professionnelle qualifiante. Tandis que les chantiers éducatifs visent essentiellement à remobiliser les jeunes en décrochage, provoquer chez eux un déclic et un revirement et les aider à retrouver confiance et motivation. Ce sont des missions de quelques jours ou de quelques heures par semaine, qui se déroulent bien en amont du parcours d’insertion proprement dit.

Pourquoi Paris Habitat s’est-il engagé dans l’aventure ?

C’est un choix politique pleinement en cohérence avec l’idée que nous nous faisons de la responsabilité sociale d’un bailleur gérant plus de 120 000 logements dans la capitale. Les chantiers éducatifs entendent proposer aux jeunes de nos quartiers des opportunités concrètes de se réaliser personnellement et de s’insérer positivement en participant à l’amélioration de leur cadre de vie. Pour nous, c’est un outil de dialogue avec nos locataires et un outil de développement du lien social à l’échelle des quartiers.

A quel public le dispositif est-il destiné ? Et comment le « recrutez-vous » ?

Les chantiers éducatifs s’adressent aux jeunes de 16 à 25 ans, suivis par les éducateurs de la prévention spécialisée, souvent « décrocheurs », et pas seulement au sens scolaire du terme : ceux qui sont en rupture éducative, familiale, sociale, sont suivis par la justice, sont tombés dans certaines formes d’addictions ou de marginalité. Ces jeunes ont besoin qu’une chance s’offre à eux pour prendre un autre chemin. Ce sont les éducateurs de la prévention spécialisée qui les connaissent le mieux et en qui ils ont le plus confiance. Ce sont eux qui sont le plus à même de leur proposer ces missions de « chantiers éducatifs », et de mettre en œuvre les projets.

Quels types de missions leur proposez-vous et sur quels éléments de motivation misez-vous ?

Au départ, il s’agissait surtout de travaux de second œuvre bâtiment de faible technicité sur les immeubles de notre parc social : peinture des halls, réfection de petit mobilier dans les espaces publics, petites réparations… Mais nous avons voulu diversifier nos missions, pour mieux couvrir le champ de vie quotidienne et capter d’autres jeunes. Ainsi, nous voulions aussi pouvoir toucher les filles et les jeunes femmes des quartiers. Si nous sommes encore loin de la parité (25% contre 75% de publics masculins aujourd’hui), nous progressons dans cette voie, qui constitue un objectif transversal du FSE. Nous proposons donc aussi de distribuer des tracts, participer à des opérations d’embellissement, contribuer à l’organisation des fêtes de quartiers, accompagner des collectes d’encombrants, réaliser des fresques participatives pour inciter les locataires à mieux trier leurs déchets : de plus en plus d’actions de communication de proximité en lien avec le développement durable.

Quels bénéfices et quelles compétences transférables les jeunes retirent-ils de ces missions ?

Ces chantiers leur permettent de restaurer l’image qu’ils ont d’eux-mêmes et leur image dans le quartier. Fiers de pouvoir se rendre utiles, ils retrouvent une dignité parfois perdue vis-à-vis de leurs pairs et des adultes du quartier : on le voit bien dans les petites cérémonies d’inauguration ou les pots de fin de chantiers. Au-delà, ils acquièrent aussi ces savoir-être sociaux et professionnels - hygiène de vie, ponctualité, assiduité, rigueur, persévérance, gestion de la relation à autrui… - ces « soft skills* » qui constituent un vrai sésame pour l’insertion sociale et professionnelle. 

En quoi ces chantiers offrent-ils aussi aux jeunes concernés une véritable passerelle vers des dispositifs d’insertion sociale et professionnels plus formalisés ?

Les conseillers de la Mission Locale de la Dynamique Insertion Professionnelle (DIP) savent qu’il leur faut tout mettre en œuvre pour aller vers les jeunes les plus éloignés de l’emploi. C’est pourquoi ils viennent sur les chantiers rencontrer les jeunes, leur présenter les possibilités qu’offre la Mission locale de Paris : par exemple pour les aider à réunir les conditions leur permettant d’accéder à la Garantie jeune. Plus largement parlant, le chantier éducatif est l’occasion d’un dialogue approfondi avec le jeune et le support potentiel d’un accompagnement global en matière de logement, de santé, d’accès aux droits.

En quoi ce dispositif est-il un « projet social multi-partenarial » ?

Nous travaillons au montage des projets, assurons le co-financement, ainsi que la mobilisation concrète des partenaires. Mais c’est un travail de coopération multi-acteurs, chacun d’eux jouant un rôle essentiel et irremplaçable. Ainsi, les clubs de prévention assurent la mise en œuvre du projet, l’encadrement social et humain, le choix des encadrants techniques indispensables à la réalisation du projet et à la « formation » des jeunes. L’amicale de locataires, la régie de quartier, le centre social peuvent aussi être commanditaires de prestations, et être associés indirectement à cet encadrement. Tout récemment, c’est le Théâtre de la Colline qui nous a sollicités pour la diffusion locale de son programme de spectacles 2019.

Vous affichez une très belle dynamique au bout de 36 mois d’expérimentation…

Nous sommes engagés dans un programme européen de 6 ans sur les 3 arrondissements du nord-est parisien, mon poste étant co-financé à 50% par le FSE.

Cependant, nous finançons des chantiers éducatifs sur tout le territoire parisien et dans le Val-de-Marne. En 2018, nous avons développé un total de 41 chantiers pour 186 jeunes accueillis, moyennant un budget de 403 000 euros. Or sur les six derniers mois, nous avons déjà déployé le même nombre de chantiers éducatifs dans les 3 arrondissements du programme européen, pour 165 jeunes, dont 25% de filles, avec un budget prévisionnel annuel doublé. C’est donc une véritable montée en charge du programme.

Vous préparez un projet qui permettrait aux chantiers éducatifs parisiens de changer d’échelle. De quoi s’agit-il ?

Nous projetons de développer les chantiers éducatifs à l’échelle d’une plateforme inter-bailleurs associant la Régie immobilière de la ville de Paris (RIVP) et Elogie-Siemp. Toutes les difficultés juridiques, administratives et financières nécessaires au montage n’ont pas encore été résolues mais nous gardons espoir de pouvoir bientôt lancer le projet à cette échelle, ce qui nous permettrait de changer de dimension avec des moyens d’action démultipliés.

* Compétences comportementales, savoir-être

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